Experts métier, formateurs et objectifs pédagogiques une alliance impossible ?

Bien souvent pour l’écriture d’une formation nous faisons appel à notre expertise, ou à l’expertise d’un tiers dans un domaine attaché au sujet à traiter. Se pose alors la question de la structure, de la scénarisation de la formation en question. Cette question est directement liée à l’expertise, indispensable, puisque c’est justement de celle-ci que nous devons extraire les contenus pour favoriser les apprentissages. Doit-on alors partir de l’expertise ou s’en détacher pour y revenir ensuite ?

 

Doit-on privilégier les objectifs avant de penser aux activités et aux contenus ?

 

Un objectif est avant tout un énoncé d’intention qui décrit un résultat attendu à la suite d’une action. Nous vivons avec les objectifs, qu’ils soient d’ailleurs pédagogiques ou non.

Revenons donc à l’écriture d’une formation. Pourquoi devrait-on penser avant tout en termes d’objectifs plutôt que de penser en termes d’expertise. C’est-à-dire s’imposer en priorité une structuration de la formation par le biais d’objectifs pédagogiques, et ensuite seulement, collecter les contenus dans l’expertise.

Nous allons voir que cette méthode est à la fois très pratique, et très bénéfique quant à la qualité apportée à la formation. 

Toute formation commence par un objectif d’apprentissage. Généralement, jusque là tout le monde est d’accord. Cet objectif d’apprentissage va alors nous guider dans la planification jusqu’aux activités liées à l’expertise.

À partir de l’objectif général de la formation, c’est-à-dire la compétence attendue à l’issue de celle-ci, il est indispensable de déterminer plusieurs objectifs pédagogiques. Ceux-ci vont fournir des indicateurs, pour estimer les résultats des apprentissages dont les manifestations ne sont pas observables.

Un objectif d’apprentissage est donc une cible à atteindre. Mais il s’agit de bien plus qu’une cible. Parmi les avantages des objectifs pédagogiques, on peut citer :

  • L’annonce claire des attendus, des intentions ;
  • La possibilité de mettre en œuvre des activités qui permettent d’atteindre ces objectifs ;
  • Évaluer uniquement les objectifs ciblés.

D’une manière plus générale, les objectifs pédagogiques apportent de la transparence, de la clarté, et l’assurance que les contenus attachés soient pertinents.

 

N’est-ce pas, par ailleurs, restrictif pour l’expert, le formateur ou l’enseignant ?

 

La réponse est clairement négative. Mais c’est souvent sur ces points que les désaccords surviennent. L’expert part naturellement de son expertise, et donc de la ressource, alors qu’un concepteur se concentrera sur les objectifs pour leur apporter plus tard les contenus. Et si finalement, la question de l’apprenant redevenait une priorité. Et notamment sur ce qu’on cherche réellement à lui faire acquérir comme savoirs, savoir-faire ou autres compétences. En résumé quels objectifs veut-on qu’il atteigne ? 

Quant aux formateurs, enseignants, ils pourraient tout aussi bien se poser la question de leur liberté pédagogique, de leur capacité d’adaptation à leur public. Et bien, rester concentré sur les objectifs n’enlève rien de cette liberté, bien au contraire, elle la renforce en fournissant un cadre éclairant que comprennent leurs apprenants. Enseigner, former dans un cadre éclairant pourrait même favoriser la bienveillance du côté des apprenants qui peuvent visualiser ce qu’on attend d’eux, et les contraintes auxquelles est soumis l’enseignant, le formateur.

Le choix des méthodes qui favorisent l’atteinte des objectifs est donc laissé au formateur, à l’enseignant. Mais en plus, les objectifs pédagogiques établissent une relation directe avec leur évaluation. Ce qui conforte le formateur, l’enseignant pour valoriser, valider les apprentissages, dont, rappelons-le, les manifestations ne sont pas observables autrement.

De plus, une écriture correcte avec les objectifs favorise l’alignement pédagogique. L’objectif devenant l’élément qui induit l’évaluation qui pourra en être faite, il est alors aisé de déterminer les contenus des activités. Chaque activité devant répondre au besoin émis pour réussir l’évaluation, l’expert sait alors quel contenu proposer pour chaque étape.

Reste alors à réussir cet exercice. Mais il existe pour cela un outil, inventé par Benjamin Bloom en 1956, revu et corrigé depuis, qui représente une taxonomie d’objectifs.

Cette taxonomie permet de trouver, sur six niveaux, les verbes d’action correspondants à ce que l’on attend de l’apprenant pour justifier de l’atteinte d’un objectif. Chaque verbe représente la manifestation de ce qui pourra être évalué. Charge au concepteur de la formation de trouver ces verbes selon les niveaux qu’il a choisi d’évaluer. 

 

Par exemple, si je vise comme objectif que mon apprenant « sera capable d’animer une formation en ligne », alors pour l’évaluer je pourrai lui demander d’animer une séance de formation en ligne.

Mais, il s’agit ici d’un objectif pédagogique qui vise ce qui sera possible pour l’apprenant à la fin de la formation. C’est un objectif général, une compétence.

À partir de cet objectif général, il devient indispensable de structurer les apprentissages avec des objectifs spécifiques qui déterminent un certain nombre d’étapes. On peut reprendre la métaphore de l’escalier pour expliquer cette nécessité.

Plus les marches sont espacées, plus elles sont difficiles à franchir. Il en est de même pour les objectifs pédagogiques.

Cette fois encore, la taxonomie de Bloom est une aide précieuse. Elle aide à définir des objectifs et à assurer la progressivité de la formation au travers de ceux-ci.

Nous pouvons donc dire qu’une formation est une déclinaison d’objectifs qui répondent à une stratégie, d’une organisation, d’une entreprise, et qui décrivent des compétences évaluables à l’issue de la formation.

Certains me diraient que cette utilisation rigoureuse est un peu trop figée. Notamment parce qu’ils y voient une obstruction aux méthodes inductives. Cela laisserait entendre qu’il faut mettre de côté les objectifs lorsqu’on veut utiliser des méthodes inductives. Méthodes qui ont un fort impact en formation, car elles sont centrées sur les capacités de l’apprenant à se construire. Il peut sembler alors utile, facile, d’imaginer la formation du point de vue de l’expertise à nouveau. 

En partant d’objectifs pédagogiques généraux clairs, il est possible de multiplier les objectifs, opérationnels, spécifiques, autant de fois que nécessaire, et avec un ordre dans les activités qui favorise la méthode inductive. La pédagogie par objectifs est donc parfaitement adaptée aux apprentissages pour adultes, avec qui les méthodes inductives, que je mets en pratique également, sont parfaitement autorisées. Pour mettre tout le monde d’accord, je dirais qu’il ne faut pas confondre la destination et les différents moyens d’y arriver.

Il n’existe pas d’opposition entre l’expertise, les méthodes inductives, et la pédagogie par objectifs. 

Et, pour en finir avec ce sujet et les bienfaits que j’y perçois, je dirais que c’est un excellent moyen d’éclairer les relations entre les concepteurs et les experts métiers, qui peinent parfois à se comprendre quant il s’agit de concevoir une formation. Et enfin, l’apport structuré par les objectifs est probablement un bon moyen de justifier de la qualité des formations auprès des instances certificatrices, dont on sait qu’elles deviennent de plus en plus exigeantes.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.