Est-ce que le digital est le futur de l’enseignement ?

Un article récent publié dans une revue RH, par un dirigeant de start up française, ayant un parcours en management, indique que les Français considèrent que le digital learning est efficace pour au moins 85%. 

Sur cette même base, l’article cité poursuit en expliquant la haute plus-value de la formation digitale, remettant de fait en cause le présentiel ou encore la multimodalité. 

Je m’inscrit en faux face à cet article. Et, je vais m’appuyer sur une autre étude, réalisée par des chercheurs de l’Université de Louvain, des experts de l’apprentissage. Il ne s’agit donc pas de mettre mon expertise en avant, mais de rétablir une vérité qui me semble fondamentale. 

En premier lieu, l’article cite en avantage « La formation peut être suivie de partout et n’importe quand ! Étant donné que le futur de l’enseignement se dirige vers le digital, cette avancée est le début d’une grande étape » (SIC). 

Et, si cette avancée est le début d’une grande étape, je crois que l’avenir de nos sociétés est plutôt mal assuré. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, ça n’est pas parce que les savoirs sont disponibles qu’ils seront acquis, voire même utilisés. Pour que, ces savoirs souvent disponibles sur le web soient utiles, il faut leur donner du sens. Il devient alors indispensable qu’un scénario pédagogique génère la nécessité de leur utilisation chez les apprenants. Ne nous attendons pas à ce qu’une quelconque motivation extrinsèque suffise à produire chez les apprenants l’envie de lire un PDF ou de visionner une vidéo. La motivation doit être intrinsèque et, il faut donc inciter l’apprenant à visionner ses documents. Il doit être motivé par le fait que ces ressources lui apporteront des réponses ou des solutions, et non pas uniquement alimenter sa culture générale. 

Dans ce même article, il est également question de social learning apporté par des plateformes afin de recréer des interactions sociales. Ici aussi, j’aimerais trouver des chiffres qui apportent la preuve de ce qui est avancé. 

En exemple de plateformes apprenants, sont cités les MOOC (SIC), le mobile learning, la vidéo learning. 

Et, dans un autre registre, il est ajouté, je cite « Donner accès à des contenus digitaux à ses salariés donne l’opportunité aux salariés de développer des compétences à tout moment. » 

J’aimerais que l’on nous explique comment ce miracle se produit. Sauf si les salariés bénéficient de leur temps de travail pour suivre la formation, leur motivation reste faible tout autant que le développement de leurs compétences, qui ne sont par ailleurs pas évaluées dans la plupart des cas. 

Le fait de citer les MOCC (comme plateforme) dont on sait que le taux de complétude est d’environ 4 à 5% est la preuve d’une grande méconnaissance de la formation et des apprenants. 

Autre citation non fondée de cet article « Par ailleurs, le digital learning est aussi source d’économie. ». Ce qui est faux, sauf si l’on ne rémunère pas les personnes qui détiennent les connaissances et celles qui produisent les contenus. Il faut également compter les coûts des différentes licences, l’infrastructure réseau quand elle n’existe pas encore, les mises à jour, le support technique, L’accompagnement1

Et il ne faut pas omettre l’obsolescence rapide des ressources, et différents contenus qu’il sera nécessaire de maintenir à jour. 

Pour conclure, il ne faut pas s’imaginer que la formation « digitale » est la réponse à tous les besoins. Oui, elle est un formidable atout pour l’avenir de la formation. Oui, elle devient « malheureusement » la norme, poussée par les outils du marché vendus comme des solutions miracles. 

Mais, il ne faudrait surtout pas négliger la relation humaine. Celle qui débute par une analyse fine des publics que l’on va servir. Celle de la scénarisation des formations qui implique un accompagnement adapté. 

Et puis, certaines formations, certaines étapes des formations ne pourront toujours se faire qu’en présence. Notamment quand il s’agit de pratique. À cela, certains argueront que la réalité virtuelle permet de remplacer le présentiel. Et bien non, pas tout à fait. 

Il est prouvé « scientifiquement » que les neurones peuvent être activés chez un apprenant passif de la même manière que lorsqu’il est actif, mais en regardant un humain. Par exemple, lors d’une démonstration de l’application d’un geste professionnel. Le simple fait d’observer ce geste active les mêmes neurones que si ce geste était effectué par l’apprenant, et ça n’est pas avec réalité virtuelle que cela est possible, car elle ne peut pas activer les neurones miroirs. 

La formation ne peut donc devenir entièrement « digitale ». Elle doit en priorité assurer l’alignement pédagogique constant pour servir les apprenants. Et il ne faut pas oublier que nous sommes des êtres grégaires, que nous avons besoin de relations, que c’est de ces relations que l’on se nourrit pour nous construire. 

Enfin, ne confondons pas un expert de la formation avec un expert en gestion de start up. Leurs objectifs ne sont pas les mêmes, les uns choient les apprenants, les autres font progresser leur capital.

https://uclouvain.be/fr/chercher/girsef/les-cahiers-du-girsef.html 

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